FACE À LA MONTÉE DES FAUSSES INFORMATIONS RELAYÉES PAR LES RÉSEAUX SOCIAUX, DÉVELOPPER L’ESPRIT CRITIQUE DES ENFANTS DEVIENT UNE URGENCE. CETTE AMBITION N’EST PAS NOUVELLE, MAIS DIFFICILE À METTRE EN ŒUVRE DANS LE CADRE SCOLAIRE, CAR ELLE SUPPOSE UN CHANGEMENT RADICAL DE POSTURE DE LA PART DE TOUS LES ACTEURS DE L’ÉDUCATION: ENSEIGNANTS, ÉLÈVES ET FAMILLES. DOUTER SAINEMENT S’APPREND ET SE CULTIVE. L’ESPRIT CRITIQUE, NOURRI PAR DES PRATIQUES RAISONNABLES, POURRAIT MÊME DEVENIR UNE ARME SCOLAIRE PUISSANTE, CAR, À TRAVERS LA RÉUSSITE DE CHACUN, IL Y VA DE LA RÉUSSITE DU VIVRE ENSEMBLE.
L’esprit critique est avant tout un état d’esprit qui sollicite notre curiosité, notre autonomie, notre lucidité, notre écoute et notre modestie. Vaste programme, mais ô combien dynamique et gratifiant. Rien n’est jamais figé, il nous arrive même d’en manquer et de nous laisser avoir par des préjugés ou de nous laisser entraîner par nos opinions. Apprendre à reconnaître l’inconfortable de la pensée, à examiner une donnée, une information, une opinion sans porter de jugement hâtif, à distancier nos émotions pour approcher l’honnêteté intellectuelle, tout cela relève de l’exigence. Le penseur critique se construit tout au long d’une vie. L’enjeu, pour les enfants et les adolescents, est de mieux appréhender le monde qui les entoure et de faire des choix éclairés. Scolairement, cet état d’esprit permet de s’installer consciemment dans tout processus d’apprentissage, d’en accepter la mise en œuvre, même imparfaite, afin d’entretenir une insatiable curiosité. Voyons comment.
«Celui qui accepte ses erreurs et qui en comprend la source progresse»
Les indispensables objectifs à poursuivre
Cultiver la curiosité des enfants, leur soif d’apprendre dès le plus jeune âge et l’entretenir à l’adolescence est le premier pas vers leur autonomie intellectuelle. La curiosité induit toutes les autres attitudes, car elle seule permet de prendre conscience de la multitude d’informations, de la nécessité de les trier et de l’immensité des connaissances. Pour la cultiver, les adultes devront accepter les erreurs des enfants comme des indicateurs d’incompréhension ou de recherche. Celui qui accepte ses erreurs et qui en comprend la source progresse. Si l’enfant se sent jugé, il laissera petit à petit mourir sa curiosité et, avec elle, l’envie d’apprendre. L’éveil et l’entretien de la curiosité sont donc indispensables.
Prendre du recul pour évaluer l’information est une aptitude des plus difficiles à construire, mais nécessaire pour juger de la qualité d’une information ou de la crédibilité d’une source d’informations. Pour s’informer efficacement, il faut en prendre le temps, s’intéresser à ce que les autres savent, accepter le débat. Évaluez la qualité d’une information et sa pertinence suppose d’être lucide sur ce que l’on suppose, mais aussi sur ce que l’on ignore. C’est en posant des questions comme «Que s’est-il passé?», «Comment l’expliquer ?», «Cette information m’est-elle utile à ce moment-là?» que le recul s’installe. Se distancier de l’information reçue et des émotions associées, pour en analyser l’aspect qualitatif, permet de comprendre comment la connaissance s’est construite.
Suspendre son jugement personnel découle naturellement de la prise de recul. Cette lucidité renvoie à l’attitude réflexive de chacun qui se développe avec le temps et la confrontation à des sources d’information variées. On ne juge pas, on prend le temps d’émettre des hypothèses, de distinguer les faits de leurs interprétations, tout en acceptant le risque de l’erreur et en étant prêt à corriger son interprétation dès que l’on est mieux informé. C’est une prise de conscience, parfois inconfortable, sur nos connaissances et leur degré de certitude qui nous entraîne sur la voie de la sagesse: peut-on trancher entre différentes opinions
Les attitudes à construire et les procédures à mettre en œuvre
Vous l’aurez compris, il s’agit d’encourager à la maison et à l’école, quatre attitudes fondamentales pour nourrir nos objectifs:
- La curiosité ou l’envie d’en savoir plus, une fleur à cultiver dès le plus jeune âge
- La lucidité, c’est-à-dire la conscience de ce que l’on sait, de nos lacunes ou de nos suppositions dans le domaine concerné
- L’autonomie réflexive ou la capacité à défendre un point de vue personnel différent de celui des autres, le courage de dialoguer et de débattre sans violence, avec les mots pour le dire. La modestie qui permet d’apprendre de ses erreurs, de continuer à chercher malgré la conscience que l’on ne saura jamais tout.
Comment?
- En incitant les enfants, les adolescents à réfléchir sur les sources des informations et leur validité: «En es-tu sûr?» «Que sait-on déjà sur la question, par qui?»
- En développant avec eux une attitude d’écoute prudente, une écoute ni passive ni naïve, mais attentive et informée: «Es-tu en présence d’une interprétation validée par l’expérience, d’hypothèses, de simples opinions, de jugements?»
- En leur permettant de construire une argumentation orale, puis écrite afin d’apprendre à reconnaître un argument justifié. Leur demander pourquoi ils pensent ceci ou cela d’une situation est un bon début.
- En pratiquant la démarche scientifique parce qu’elle requiert les mêmes étapes que le processus de la pensée critique: constat, hypothèses, expérience, validation ou invalidation.
- En les confrontant à plusieurs solutions pour un même problème afin d’appréhender la complexité d’une situation. Enfin, en déstabilisant leurs certitudes par la présence d’informations erronées: chasse aux erreurs, recherche de trajet informatif logique…
Il semble plus facile d’avoir une opinion sur tout, celui qui tranche rapidement impose son jugement. C’est ainsi que se construisent la propagande et les rumeurs. Développer l’esprit critique des élèves est une arme scolaire à double sens : un défi pour l’école et la société, une aide à la réussite individuelle.
Valérie THEVENIAUT